• Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    L’art et le pouvoir, des « Demoiselles d’Avignon » 1907 à « Guernica » 1937

     

     

     

     

    Introduction

     

    Le pouvoir institutionnel de la peinture,
    et sa remise en question.

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Le Bain turc, 108, 1859-1863, Paris, Musée du Louvre

     

    Depuis que Colbert mis les artistes au service du roi Louis XIV, en devenant parrain de l’académie royale de peinture, les artistes peignaient selon les principes dictés par l’académie.

    Les peintres devaient s’y conformer sous peine de ne pas être exposés aux salons officiels.

     

    En 1863, Napoléon III se voit obligé d’ouvrir un « salon des refusés », destiné à accueillir les trop nombreuses œuvres rejetées par le jury de l’académie.

    C’est qu’un art moderne se met en marche à la suite d’Edouard Manet.

     

    S’ensuit le développement de nombreux mouvements qui s’émancipent peu à peu des règles de l’académie. (Musée d’Orsay)

     

    Cette remise en question de la peinture classique voit sans doute son couronnement avec l’inachèvement volontaire de la peinture de Picasso : « les demoiselles d’Avignon ».

     

    Comparez « Le bain turc » de Jean-Auguste-Dominique Ingres, et Les demoiselles…

     

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Les demoiselles d’Avignon. Picasso ; 1907. Huile sur toile 243,9 x 233,7 cm

     

    La peinture de Picasso annonce de multiples autres voies, et notamment le cubisme.

     

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    « La guitare, statue de l’épouvante ». 1913. Georges Braques. Fusain, gouache, papiers collés ; 73 x 100 cm

     

    Cette nouvelle approche de la « peinture » apporte beaucoup de liberté au créateur, qui s’approprie le principe de la reproduction en série (imprimés) par le découpage collage.

    Elle s’émancipe des principe de l’académie : dont l’objectif est d’atteindre le beau par l’application de règles précises : composition équilibrée, souvent triangulaire, peinture « léchée » presque illusionniste, lumière douce et orientée, sujets nobles, pudeur, ….

    Le cubisme s’écarte de l’idéal du beau et tend vers la recherche du réel.

     

     

     

    Des avant-gardes à la propagande

     

    De la révolution Dadaïste au retour à l’ordre et l’art dégénéré :

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

    Qu'est-ce que DADA ?
    Un Art ? Une Philosophie ? Une Politique ?
    Une Assurance en cas d'incendie ?
    Ou bien : Une religion d'État ?
    Est-ce que DADA est l'Énergie effectivement réelle ?
    Ou est-ce Rien du tout,

    C'est-à-dire

    TOUT ?

     

     

    Dada naît pendant le première guerre mondiale en 1916 et à la l’orée de la révolution Bolchevique. C'est-à-dire dans un contexte chaotique de bouleversement de l’europe.

    Dada s’oppose à l’art bourgeois et officiel qui a accompagné une civilisation qui a conduit à la catastrophe en se fondant sur des illusions.

     

    Dada rejette tout illusionnisme et déconstruit, pour mieux reconstruire des œuvres d’inspirations libres et énergiques, en réinvestissant les papiers collés cubistes.

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Raoul Hausmann, ABCD, 1923-1924

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    André PLANSON (1898-1981) "Déjeuner sur l'herbe", huile sur panneau, signé en bas à droite, 59 x 22 cm.

     

    Cependant, après la deuxième guerre mondiale, de nombreux artistes renoncent à poursuivre le rêve des avant gardes de l’avant guerre. Ils reviennent à des figurations plus classiques et des sujets plus sages. C’est le retour à l’ordre. Picasso lui-même reviendra à  des sujets mythologiques ou de la vie quotidienne représentés de manière plus classique.

    Cette défiance vis-à-vis des expérimentations d’avant-garde trouve son paroxysme en Allemagne, avec l’exposition d’art dégénéré organisée par Goebbels.

    Le but de cette exposition de 1933 est de dénigrer les œuvres et les artistes d’avant-garde tels que Picasso, Matisse, les expressionistes, dada, etc.

     

     

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Emil Nolde 1910. « Danse autour du veau d’or »

    Exposée à la « Entartete Kunst »

     

     

    Pour valoriser les œuvres national-socialistes célébrant les valeurs du pouvoir Nazi : l’héroïsme, la famille, la patrie, et le travail, une exposition étaient organisée en parallèle à celle de « l’art dégénéré", à l’avantage de celles-ci.

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

    Peinture national-socialiste

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Hitler à l’exposition de l’art dégénéré de 1933

     

     

    Les innovations plastiques des avant-gardes, au service de toutes les propagandes :

     

    Le frère de Raoul Haussman, John Heartfield, proche du mouvement Dada, applique le principe du collage à la photographie en développant le photomontage, il s’en sert à des fins de propagande anti-nazi.

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    John Heartfield 1932

     

     

    Mais l’efficacité de ce procédé intéresse très rapidement la propagande Nazi et Stalinienne.

     

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     1919-1929 Disparition de Trotski à la tribune de Lénine.

     

    La propagande Soviétique réinvestit le principe du collage à des fins de communication, en le combinant aux expérimentations constructivistes.

     

    (Les constructivistes sont les artistes d’avant garde liés à la révolution bolchévique mais évincés par Staline ; exemple : Tatline, « le monument à la troisième internationale »)

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

     Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    On retrouve des accents constructivistes et le principe du collage dans l’affiche rouge.

     

     

     

     

     

     

    L’exposition universelle de 1937. Un chef d’œuvre défie l’art du pouvoir.

     

    L’art du pouvoir :

     

    Nous avons vu pourquoi et comment l’art intéresse le pouvoir.

     

    Les pouvoirs totalitaires, s’ils dénigrent les avants gardes dont la liberté d’expression représente un danger, ne se privent pas d’utiliser leurs inventions. Mais ils exploitent abondamment l’art classique auquel ils empruntent une légitimité liée à l’antiquité.

    Utiliser les colonnes et les formes de l’architecture classique, c’est prétendre à la l’âge d’or de l’antiquité et se cacher derrière une façade « démocratique » (pouvoir d’illusion).

    C’est aussi une manière de se célébrer à l’image de la puissance Romaine.

     

    Mais là s’arrête la comparaison. Point d’équilibre ou d’harmonie dans l’architecture soviétique, mussolinienne, ou nazie. Place à la démesure, et la verticalité arrogante et écrasante.

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

     

    Les pavillons allemands et soviétiques se ressemblent étrangement, et leur confrontation à l’exposition de 1937 pourrait prêter à sourire si l’on ignorait ce que cette mise en scène annonçait.

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    L'Exposition internationale « Arts et Techniques dans la Vie moderne », qui se tient à Paris du 25 mai au 25 novembre 1937,

     

    Le gouvernement de Léon Blum tente d’y démontrer que l'Art et la Technique ne s'opposent pas mais que leur union est au contraire indispensable : le Beau et l'Utile doivent être, dit-il, indissolublement liés. Dans un contexte de crise économique et de tensions politiques internationales, l'exposition de 1937 doit également promouvoir la paix.

     

    Si la tour Eiffel semble en mesure d’arbitrer « le match » sur ce cliché, il suffisait de visiter le pavillon de la République Espagnole exilée à Paris par le Franquisme, pour comprendre le drame qui est déjà en marche.

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

     

    Le 26 avril 1937, un mois avant l’ouverture, retardée par les grèves, de l’exposition,

    l’aviation allemande bombarde la ville de Guernica, provocant un carnage parmi la population civile. Ce massacre provoque la révolte de Picasso qui accepte la commande d’une toile pour le pavillon espagnol par le gouvernement républicain.

    Cette toile exprime l’horreur et la violence subie par la population.

    Elle ne cherche pas à adopter les codes réalistes ou les symboles partisans.

    Picasso renonce aux poings levés ou autres signes pouvant lier cette œuvre au gouvernement républicain composé de communistes, de socialistes, de républicains et d’anarchistes.

    Il renonce aussi aux papiers journaux collés qui auraient pu témoigner de l’évènement.

    Mais il reprend les codes du cubisme qu’il avait délaissé pendant son « retour  à l’ordre ».

    Le découpage cubiste lui permet de rendre compte d’une réalité complexe tout en allant à l’essentiel. Il donne forme à la peur, l’angoisse et la panique par une vision fragmentée et chaotique ou la fragilité des corps, représentés par des courbes, est violentée par l’agressivité géométrique de la lumière et des matériaux . Sans anecdote. Il fait de son tableau un manifeste « universel » contre l’oppression et la violence totalitaire. Le tableau fera le tour de monde pour lever des fonds de soutien aux républicains.

     

     

    Cette œuvre fait scandale, notamment du côté officiel allemand qui qualifie l’œuvre de Picasso d’art dégénéré.

     

     

     

     

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

     

     

    Pendant que la France célèbre les progrès de la science (« la fée électricité ») en espérant encore qu’ils permettront l’avènement d’un monde meilleur, Picasso accuse, avec désespoir les dégâts causés  par les nouvelles technologies au service des états totalitaires. Nous pourrions nous risquer à voir dans l’éblouissement créé par l’ampoule électrique, la prémonition d’une autre destruction massive : le bombardement d’Hiroshima ou Nagasaki.

     

     

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

    Raoul Duffy. « La fée électricité » 1937

    Guernica à l'exposition universelle 1937

     

     

    Cette illustration magnifiée de l’exposition de 1937 à la gloire de la lumière artificielle et des spectacles pyrotechniques prend un air inquiétant à la lumière de Guernica.

     

    Durant la seconde guerre mondiale, Picasso vivant rue des grands Augustins à Paris, reçut la visite d’Otto Abetz, l'ambassadeur nazi. Ce dernier lui aurait demandé devant une photo de la toile de Guernica (alors conservée à New York au Moma) : « C'est vous qui avez fait cela ? », Picasso aurait répondu : « Non...vous ».

    De plus aux visiteurs allemands des années 1940, il distribuait des photos de Guernica, les narguant d'un « Emportez-les. Souvenirs! souvenirs! » (Source Wikipédia)